J’ai déjeuné hier avec un ancien client de l’époque où j’intervenais chez IBM il y a plus de 10 ans. Il m’a parlé de son contexte actuel dans une startup qui a été créée à côté de la grande structure pour laquelle il travaille (une “spinoff” comme disent les anglophones). Il a participé à monter cette entité légale depuis quelques mois. Ils sont en exécution depuis environ cinq mois, avec les équipes de réalisation et les bureaux installés dans un “coworking”.
Au milieu de cette discussion, il a évoqué une image personnelle qui m’a marqué. Il a dit quelque chose qui ressemblait à : “J’ai plongé dans une piscine, pour me rendre compte en regardant tout autour de moi qu’il n’y avait pas de rebords visibles !”.
Ce matin, au petit-déjeuner, cette image m’est revenue. Et j’en ai parlé à ma femme et je disais qu’il était difficile pour les gens qui n’ont pas appris à nager jeune, à surpasser leur peur construite avec l’âge, et apprendre une nouvelle façon de travailler.
Cette personne a été habituée à travailler dans des contextes où tout doit être cadré, mesuré, pesé, estimé, avant même de faire un premier pas. Pour l’avoir vécu avec lui, il fallait des cahiers des charges, des spécifications fonctionnelles détaillées, des plans parfaits avant d’écrire la première ligne de code. Pour donner un exemple, le projet avait pris un peu plus de cinq années avant de sortir la plate-forme pour un premier pays. J’ai participé à trois ans et demi sur ce projet. Comme on dit au Québec : “c’est long longtemps !”.
Je lui ai demandé s’il avait vécu des projets moins lourds depuis notre aventure d’il y a 10 ans. Il me répondit que très peu, certes un peu plus itératif, mais sans plus. Donc aujourd’hui son contexte est totalement nouveau ! Et il se rend compte que malgré toute sa bonne volonté, il a quelques réflexes qui déteignent sur lui, l’ADN de son entreprise mère. Il doit démontrer du lâcher-prise. Il essaye de convaincre les autres collègues de la maison mère qui participent à la nouvelle entité de faire de même.
Tout ça pour dire qu’en tant que coach agile, lors de nos accompagnements, on se doit de prendre en considération qu’il y a des gens qui ne savent pas nager l’agilité, le design thinking, l’UX, le scrum, le kanban, la transparence. Ils sont habitués à du cycle en V et de l’à peu près prédictible où on est en sécurité psychologique. Ils n’ont pas peur de perdre leur poste dans ce cadre.
Pour revenir aux images, quand on est petit, on n’a peur de pratiquement rien ! On peut être curieux avec les insectes par exemple au point d’en goûter quelques-uns, et puis développer à l’âge adulte une phobie des bestioles. On se crée des blocages mentaux suite à des événements lors de notre vie, ou transmis par des proches.
J’ai l’impression que c’est un peu pareil lorsqu’on arrive sur le marché du travail. On n’avait peur de rien à la sortie de l’université, et soudainement, lorsqu’on rentre dans un système bien en place, surtout dans une boîte qui a du vécu, du succès historique et qui a des processus assez complexes, et on rentre dans le moule. On sort peut-être un peu des clous au début, mais les processus et les autres personnes de la boîte nous rappellent que ce n’est pas comme ça ici, et on se fait taper sur les doigts si on réitère. On développe une peur de ne pas suivre la recette écrite.
J’ai évoqué hier, lors de notre discussion, le modèle de la panarchie. J’ai expliqué à mon interlocuteur qu’il y avait des cycles, et que lui et sa nouvelle équipe étaient plutôt dans un cycle d’émergence et de résilience. Que c’était normal d’être sans repères lorsqu’on n’est pas habitué d’être dans un contexte plus chaotique, moins prédictible. À l’inverse, il a grandi dans un bout de cycle de rigidité où on récolte les fruits des investissements passés.
Il ne faut donc pas hésiter à tester le plus possible son modèle, son produit, son service, le confronter aux futurs clients et utilisateurs, et pivoter au besoin lorsqu’on a appris quelque chose. Je lui ai donc parlé des notions de lean-ux qui pourraient les aider dans leur quête. Ils ont environ un an pour prouver que le produit tient la route au niveau business. En cinq mois, ils n’ont toujours pas fait un test utilisateur… c’est la peur de l’eau profonde à mon avis ! On met les flotteurs autour des bras, et on y va !
Et nous coach agile dans tout ça, à nous de mettre le slip de bain, prendre le sifflet, rentrer dans l’eau avec les clients, et montrer qu’il y a un rebord pas loin, rassurer par notre présence et expérience, et aider à pratiquer les différentes nages agiles jusqu’à leur indépendance !