Joy, Inc. - La joie est bruyante !

couverture livre Joy Inc.

J’ai terminé, début 2018, le livre Joy, Inc. - How We Built a Workplace People Love de Richard Sheridan, co-fondateur de Menlo Innovations.

A la page 5, j’ai froncé les sourcils, car j’ai lu que ce livre allait permettre aux exécutifs d’apporter la joie dans leur entreprise avec un processus simple et répétable. Celui-ci permettrait de prédire la capacité d’impact des équipes de développement pour les clients ! Etant un croyant du #noestimate, je me suis dit “et mince, une autre recette magique à l’américaine” ! J’ai toujours peur de l’industrialisation de la façon de travailler à travers toutes les équipes d’une entreprise.

Ne m’arrêtant pas à cela, car le livre m’ayant été recommandé par Dragos que je respecte grandement, j’ai pu en retirer pas mal de passages intéressants sur la dynamique de groupe, et création d’un environnement de travail où les gens sont à fond !

Par exemple, viser la gloire, les gains financiers ou essayer d’être dans les livres d’histoire comme Samuel Pierpont Langley n’est pas aussi efficace et intéressant que de chercher le bonheur comme les frères Wright. Leur victoire vient de leur idéal, le sens, le pourquoi ils se levaient le matin ! Encore un exemple intéressant où il est bien de chercher à avoir de l’impact plutôt que de chercher un gain chiffré (gestion d’un produit plus que gestion d’un projet).

Un autre passage intéressant dit que pour que tout changement soit accepté par les autres, on doit redéfinir en partie la façon dont le jeu est joué. C’est-à-dire que lorsqu’on veut induire de nouveaux comportements, plus collaboratifs par exemple, il faut casser les indicateurs de performance individuelle qui empêcheraient le partage de temps en groupe et de connaissances. Par exemple, chez Menlo dit Richard Sheridan, on avait tendance avoir des bureaux fermés et privés, une bibliothèque ou le silence était de mise, ou bien la qualité des produits était l’affaire d’autres personnes. Aujourd’hui, on valorise plutôt la fierté d’un travail bien fait (artisan du logiciel), le fun, l’énergie, et le partage !

Il y a une autre dimension très intéressante, c’est la gestion de l’espace de travail. Ils ont mis à disposition, très tôt par rapport à la majorité des boîtes qui copient depuis quelques années, des tables de babyfoot, ping-pong, bornes d’arcade. Mais, en contrepartie, l’accent reste sur le travail, la fierté d’accomplir des choses qui font sens. A la page 40, on a un titre qui en dit long sur la posture managériale : on n’a pas besoin d’une police de l’espace de travail ! Les équipes n’ont pas besoin de passer par des processus pour réorganiser les zones de travail en fonction de ce qu’ils ont à faire dans les prochaines semaines. De plus, on peut faire ce réarrangement seulement si on veut casser la routine. Bref, si on sent qu’on s’encroûte, on bouge ! Pour ne jamais tomber dans une routine qui nous endort au volant comme sur une route droite et interminable dans le désert américain du Nevada.

Comme le titre de cet article l’indique, il y a une grande croyance dans cette entreprise : la joie, c’est bruyant ! Ce bruit crée des opportunités, et la sérendipité, donc de l’innovation qui vient de partout, et de l’inattendu. Bref, on co-construit en permanence et avec énergie ! Ne pas oublier que l’agilité, la vraie, c’est fatigant, ça demande énormément d’énergie, donc attention à votre rythme soutenable.

Les gens qui bossent dans cette boîte n’ont pas peur de sortir de leur zone de confort. On ne se limite pas à un seul langage de programmation par exemple. Et le fait qu’on change souvent de projet et d’équipe favorise le partage de connaissance. Quid de la prédictibilité si tant chérie en scrum ? On a préféré ne pas avoir de “bus effect” chez Menlo, et mettre l’accent sur l’arrivée des gens (le fameux mot français “onboarding” utilisé à Paris). La programmation en paire est de facto la façon de travailler chez eux. Pour la montée en compétence, le focus mental et l’échange de pratiques, c’est génial ! Surtout quand on change de partenaire plusieurs fois dans l’année, on a vite fait le tour des styles de programmation, de personnalités, et rentrer en empathie avec ses collègues qu’on n’aurait pas nécessairement sollicité en premier réflexe. La question est aussi posée dans le livre, peut-on vraiment se permettre cet investissement dans l’apprentissage ? On croit chez Menlo que s’appuyer sur de l’hyper-expertise, ça tue l’innovation ! A méditer, et si on se lance dans une telle aventure, bien choisir ses clients qui ne vont pas broncher lorsqu’ils visitent les équipes produits. Vaut mieux être transparent dès le début et ne pas s’accrocher à un client qui ne veut pas de ce modèle pas assez industriel.

On pense aussi beaucoup à la montée en compétences des membres des équipes en créant des BBL où les gens se pratiquent à présenter devant des gens. La notion d’orateur dans un cadre bienveillant permet de gagner en confiance, et éventuellement d’aller présenter des sujets en conférences. Ne laissez pas vos employés dans des cases prédéfinies par la fiche de poste !

Un dernier clin d’oeil qui m’a vraiment fait sourire, c’est le concept de “High-Speed Voice Technology”. On a besoin de cordes vocales, langage corporel, hausser la voix, des sourcils et des expressions du visage. Ils ont des protocoles simples avec des mots clés : “Hey, Emily!” avec la réponse dans la foulée “Hey, Rich!”. Et ce, avec des gens entre Emily et Rich, qui n’ont pas bougé, ils ont continué leur travail. Emily et Rich ont pu parler vite fait d’un point important (à ne pas utiliser toutes les deux secondes, faut respecter un minimum le focus mental des gens). Mais utilisé à bon escient, ça va plus vite que la messagerie instantanée, le courriel, le ticket dans jira. Et lorsqu’il faut faire une vraie annonce, “Hey, Menlo!” fonctionne très bien aussi pour que tout le monde profite des informations. Vive la transparence en agilité !

Et que font les managers dans un tel contexte ? Il y a des chefs de produits/projets, mais pas vraiment de managers. On préfère, chez Menlo, voir émerger des leaders naturels en fonction d’un problème donné et décrit. Cela permet de ne pas créer ce que j’appelle le phénomène de l’oisillon dans le nid, où on attend après le manager (maman oiseau) pour tout régler ou assigner (toi tu fais ci, toi plutôt cela). Un peu comme dans l’Open Space Agility, on voit apparaître des leaders naturels en fonction des types de problèmes. Pourquoi vouloir mettre toute cette pression sur quelques individus seulement ? On partage les plaisirs et les puzzles de l’organisation ! Reconnaissance, salaire, dire merci à ces nouvelles locomotives, c’est beaucoup plus pérenne que de donner un titre à quelqu’un pour sa carte d’affaires, c’est une de mes croyances.

On parle aussi de la notion de grandir dans ce modèle hyper collaboratif (scalabilité), le nombre de Dunbar est invoqué à nouveau. Que ferai-je à plus de 150 personnes ? Il faut se poser de bonnes questions à ce moment-là :

  • Si on grandit et qu’on détruit la qualité en faisant cela, a-t-on vraiment grandi ?
  • Si on grandit et qu’on détruit la morale de nos équipes, l’état d’esprit, et l’énergie, a-t-on vraiment grandi ?
  • Si on grandit et qu’on perd notre marché par un produit ou un service supérieur, a-t-on vraiment grandi ?
  • Si on grandit fortement et qu’on ne peut plus revenir en arrière avec les nouveaux processus et règles implantés, peut-on dire qu’on est capable de grandir ?

Comment peut-on faire pour mesurer la joie ? Chez Menlo, on parle de la joie des employés et des clients. Ca me fait penser à la Double Interaction du Désir de Jean Mouton. On doit investir sur les deux populations pour arriver à une résilience de l’entreprise dans le temps. Richard Sheridan déclare que c’est très complexe à mesurer, mais avec l’utilisation des produits, la qualité sur le long terme, la part de marché, la satisfaction clients, la domination du marché, des histoires positives remontées par les enquêtes des utilisateurs clés, et la faible utilisation du support après-vente, on peut sentir si on est dans la joie !

Bien sûr que des difficultés font parties du quotidien de cette boîte, ce sont des humains qui sont à l’intérieur de ce cadre de jeu clair. Mais les moyens engagés, les rituels, le droit à l’erreur et les outils agiles utilisés aident à s’ajuster et se parler en adulte. La vision et mission claire, le management visuel, les conversations, les récits utilisateurs, la discipline et le rythme, la rigueur, les codes simples et compris par tous, le daily standup, créer des rituels en présentiel avec le client, donner des bouquins aux employés pour créer la culture, embaucher un humain et pas son cv, pouvoir venir avec son bébé ou son animal au travail, avoir accès à des jeux de groupe comme le ping-pong, toutes ces pratiques aident chez Menlo à créer une ambiance où il fait bon travailler, où il fait bon vivre !

Joy Inc. est un livre d’environ 250 pages. Il est inspirant pour tout entrepreneur ou directeur qui a envie de réfléchir à l’avenir de ses équipes en prenant des actions petit bout par petit bout, en expérimentant, sans lancer un Big Bang (exemple : Transformation Agile SAFe du jour au lendemain). Et le fameux processus simple et répétable, en fait il est simple pour les personnes qui ont vécu les petits changements fréquents au cours des années, mais essayer de tout refaire comme Menlo avec du copier-coller serait mener sa barque au bord de la chute.

Pour se procurer le bouquin…

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Merci à Souad et Bastien pour la relecture !